"Des paumes, des éventails en os, des mains, des empreintes de main n'ont-elles pas été inscrites dans les parois des cavernes, les drapeaux de noces des tribus Turkmènes et à l'intérieur même des maisons en pisé des steppes?Laissons tout cela, je me souviens d'un événement; comment le raconter? Quelle année était-ce, peut-être entre 1925-1928. L'hiver battait son plein, tempête de neige, blizzard. Je ne cessais de tracer des mains dans la villa de Yeniköy. Je ne savais pas l'heure. L'une après l'autre, des créatures apparurent, aux mains gigantesques, sur les feuilles de papier. A mesure que je dessinais et que les heures passaient, j'étais saisi par une sorte d'ivresse. Elle dura longtemps. Cependant - je ne sais pas quand ni comment - une inquiétude, un étouffement, au départ imperceptibles, ensuite s'accroissant au fur et à mesure et devenant irrésistibles, s'emparèrent de moi. Mes dessins étaient des choses étranges, échappées à tout contrôle; et soudain je remarquai que ces hommes aux mains gigantesques que je croyais tracer, désormais se traçaient EUX-MÊMES, sans moi. Ma main - qui ne m'appartenait plus - était prisonnière de ces formes bizarres. Je regardai du dehors ce qui se passait; je m'étais dédoublé, la main traçait, s'étant rendue autonome, je ne pouvais l'arrêter. On m'a dit que j'avais crié plusieurs fois, mon oncle Suphi m'ayant entendu de l'étage supérieur était descendu et m'avait ramené à moi-même tant bien que mal. Pourquoi je raconte cet événement? Pour expliquer que l'acte de dessiner n'est pas si exempt de danger."-Abidine Dino-
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